L’équipe Bociek intervient dans la prise en charge de la population roumaine en grande précarité à travers l’activité d’une psychologue stagiaire doctorante roumanophone.
Les lieux d’intervention pour ce public sont: le CAARUD Charonne B18 et l’Antenne Mobile, l’ESI Arche d’Avenir ; le CSAPA Halles St. Didier, le CHU Fort Nogent, CHRS Emmaüs Javel, AFJ, MOUS Emmaüs Bois de Vincennes – accueil local et maraude, la DPP – maraude, la BAPSA.
Lors de nos interventions auprès des partenaires associatifs de Bociek concernés par la prise charge de cette population, nous avons pu constater qu’une quantité importante de migrants d’origine roumaine en situation de grande précarité entre en contact avec un ou l’autre de ces services pour de différentes demandes d’ordre administratif, social ou sanitaire. Malheureusement, une bonne partie n’abouti pas à un suivi régulier, du fait de la disproportion entre le volume des demandes et les capacités d’accueil des services, ainsi que des difficultés de communication dus au barrage linguistique et culturel existant entre ce public et les travailleurs sociaux.
Dans ce contexte, nous avons rencontré sur le terrain, lors des interventions ponctuelles, un grand nombre de personnes, dont nous n’avons pas pu approfondir la connaissance des situations socio-administratives, par manque de temps et de dispositifs qui permettent un accueil individualisé pour un si grand nombre de demandes. Ces personnes ne seront pas prises en compte dans nos statistiques. Y sont inclus uniquement les personnes auprès desquelles nous avons pu développer des suivis psy ou des accompagnements psycho-éducatifs, ou dont le parcours a pu nécessiter des interventions répétés de notre part pour la médiation avec les travailleurs sociaux ou le personnel médical. Les difficultés dues à la méconnaissance des spécificités et des codes culturels de ce public contribuent à la complexité de cette situation.
Les maraudes à la destination de la population roumaine auxquelles l’équipe Bociek a participé ont été organisées sur le territoire de la Ville de Paris par ses partenaires : Emmaüs, DPP, BAPSA, la mairie de Paris. Les buts de ces actions dans les campements des Roms roumains ont visé : le recensement des personnes disposées à faire un retour volontaire au pays par l’OFII, la mise à l’abri dans des hôtels des familles avec des nourrissons et des enfants en bas âge, la constatation de l’état de santé des personnes vivant dans les campements en vue de l’organisation d’une visite médicale. Il s’agit de situations d’urgence sociale puisque les conditions de vie (hygiène, alimentation, etc.) de ces familles en situation de grande précarité ne correspondent pas aux règles élémentaires de la vie en commun en mettant gravement en danger la santé des enfants. Dans ce cadre, l’intervention de l’équipe Bociek a consisté notamment dans un travail de traduction et de médiation entre les acteurs institutionnels de l’intervention et ce segment difficile (en raison notamment des différences culturelles marquées) de la population des Roms roumains en errance. Pour une partie des personnes rencontrées lors des maraudes nous avons pu assurer ultérieurement des suivis socio-éducatifs, ou de soutien psychologique, en réponse à leur demande ou à celle des services impliqués dans leur prise en charge socio-administrative.
La majorité des personnes rencontrées dans les espaces ESI est représentée par des hommes isolés (ayant parfois des familles en Roumanie) qui invoquent des raisons économiques pour expliquer leur présence en France et dont les demandes visent prioritairement l’insertion sociale : l’hébergement, le travail, l’accès aux droits à la santé. Souvent, ces personnes ont eu une formation et un parcours professionnel solides dans le pays d’origine ou dans d’autre pays de l’Europe et ont des perspectives encourageantes pour l’insertion socioprofessionnelle.
Dans un deuxième temps de notre travail (pendant l’accompagnement dans les démarches) un autre type de demande est formulé dans le sens d’un soutien psychologique en rapport avec la souffrance associée à leur état de précarité économique et d’exclusion sociale. Souvent, une relation constante et qui s’inscrit dans la durée avec les institutions et les services sociaux n’est que secondaire à une relation de confiance établie avec l’intervenant psy qui sert de premier point d’encrage et permet de reconstruire des repères dans le social et de retisser de liens.
Rencontrés lors des maraudes dans les bois, et plus rarement lors des interventions auprès des CHU, les groupes familiaux élargis s’organisent selon des coutumes propres à la culture Rom. Des codes culturels difficilement compréhensibles de l’extérieur régissent des comportements et des attitudes, en vertu desquels la marginalité se perpétue comme une condition sociale inhérente à ces groupes : ils ont du mal à quitter les lieux de vie (bois ou squats) et ils pratiquent des activités spécifiques qu’ils partagent avec leur groupe d’appartenance (mendicité, reconditionnement des objets récupérés, vols) malgré le fait que ces conditions sont très précaires, voire dangereuses.
Ils sont souvent en demande d’une solution d’hébergement, ou d’un accompagnement médical ou socioprofessionnel, mais dès qu’une solution est proposée, il s’avère difficile pour eux de se détacher de leur groupe d’appartenance, et de s’inscrire dans un parcours de soin/formation/insertion. Au sein de cette population, les représentations des institutions et des structures sociales sont très pauvres, et on a pu constater parfois une ignorance sélective à leur instar - ils peuvent se montrer ouverts quand un accompagnement social leur est proposé - vu les bénéfices qui peuvent en résulter - mais ils préfèrent ne pas observer certaines règles simples qu’ils doivent respecter. Ainsi, une connaissance des spécificités culturelles et des motivations personnelles s’imposent avant d’entamer les démarches d’accompagnement social.
Les personnes en situation de prostitution rencontrées lors des actions de l’Antenne Mobile du CAARUD Boutique 18 sont des femmes dont l’âge varie entre 18 et 32 ans et qui justifient leur choix par leur état économique précaire ne leur permettant pas de subvenir aux besoins de leurs familles : séparées ou divorcées, ces femmes ont en générale à leur charge un ou plusieurs enfants élevés par leurs parents dans leur pays d’origine. On a rencontré aussi de nombreuses jeunes filles (dont une partie était certainement mineure) qui invoquaient parfois des raisons particulières pour la prostitution telles que la nécessité des soins médicaux spéciaux pour les membres de leurs familles dont le coût élevé n’aurait pas pu être assumé si elles exerçaient une activité professionnelle correspondante à leur niveau d’éducation en Roumanie.
Leurs motivations et attitudes à l’égard de leur activité s’avèrent souvent contradictoires, et elles sollicitent un « aide » d’un autre ordre pour accéder à une certaine autonomie et émancipation face à leur condition dont elles se considèrent souvent être victimes.
La file active de la population roumanophone est composée de 68 personnes, 30 femmes et 38 hommes. La fourchette d’âge étant 18-72 ans pour les adultes, à ceci s’ajoutent 13 mineurs, 9 d’entre eux ayant moins de 10 ans.
La moyenne d’âge est différente entre les hommes (38 ans) et les femmes (28 ans), car la majorité de la population féminine est constituée par les travailleuses du sexe qui ont une moyenne de 24 ans.
Dans les grands campements roms les hommes sont bien plus nombreux que les femmes, mais ayant des âges comparables, alors que dans la population des roumains en recherche de travail qualifié, les femmes sont quasiment absentes – il s’agit en général de petits campements d’un homme seul ou de petits groupes de deux ou trois.
Les personnes isolées (des hommes pour la plupart) vivent dans la rue ou dans des foyers d’hébergement d’urgence. Les femmes en situation de prostitution – ayant des ressources suffisantes pour se permettre de payer les frais de logement - vivent dans des hôtels qu’elles sont obligées en raison de leur activité de changer régulièrement. Les familles des Roms roumains rencontrées vivent dans des campements installés abusivement au Bois de Vincennes ou dans des maisons squatées. D’autres sont hébergés dans des structures d’urgence telle que le CHU Fort de Nogent. Leur situation reste néanmoins instable, en raison de la discontinuité de leur demande auprès des travailleurs sociaux et de l’incohérence de leurs démarches (ils peuvent quitter de manière imprévue les lieux d’hébergement qui leur a été mis à disposition par les soins des travailleurs sociaux, pour retourner vivre dans les squats et reprendre la mendicité).
Tableau 1: répartition de la file active par lieu de vie
Lieu |
Nombre d’usagers |
Espace public : rue, bois, voiture |
38 |
Squat |
5 |
Caravane |
0 |
CHU |
6 |
CHRS |
4 |
Hébergement amical ou familial |
0 |
Location au black |
10 |
Location légale |
3 |
Inconnu |
2 |
Total |
68 |
Les demandes les plus fréquentes du segment de population constitué par des personnes isolées en situation de précarité sont des demandes d’AME. Elles sont limitées à la demande de l’ « Aide Médicale d’Etat » parce qu’elles ne peuvent pas répondre aux exigences du « droit de séjour » afin de bénéficier d’autres catégories de droits. Mais nous avons rencontrés quelque rares cas de roumains installés en France de longue date (+ 6 ans), inscrits sur la voie d’une insertion sociale par le travail, et qui ont pu obtenir la CMU. Il s’agit de personnes qui ont immigré en France avant 2007 – année de l’adhésion de la Roumanie à l’Union Européenne.
Tableau 2: répartition de la file active par couverture sociale
Couverture sociale |
Nombre d’usagers |
AME |
27 |
CMU/CMU C |
2 |
Régime général |
0 |
Carte européenne |
0 |
Non affilié |
36 |
Inconnu |
3 |
Total |
68 |
Les personnes roumaines venues en quête de travail et ayant une qualification professionnelle et une expérience de travail dans le pays d’origine, arrivent le plus souvent à travailler illégalement sur des chantiers d’insertion, en espérant de décrocher un contrat. Même quand une relation de confiance s’instaure entre le travailleur et son patron, la complexité législative autour du droit au travail des citoyens roumains dissuade les deux parties de s’inscrire dans les démarches nécessaires pour une embauche contractuelle. Cela fait que les personnes continuent à faire du travail non-déclaré pour de très longues périodes. Nous avons rencontrés uniquement deux personnes ayant travaillé par contrat pour une période déterminé (bâtiment et ménage) et dans les deux cas il s’agit d’immigrants d’avant l’adhésion de la Roumanie à l’Union Européenne. Un autre segment est constitué par les personnes rroms qui n’ont en général pas de ressources, même si parfois elles s’engagent de manière irrégulière dans des activités plus ou moins légales (travail journalier, récupération des objets en métal vendus après, mendicité) pour s’assurer un faible revenu. Néanmoins, en majorité, il s’agit d’une population sans aucune source de revenu. La situation est différente pour les femmes en situation de prostitution qui parviennent au moyen de cette activité à s’assurer constamment des ressources, mais qui vivent dans une situation d’exclusion sociale sans accès aux droits sociaux et médicaux.
Tableau 3: répartition de la file active par ressources
Ressources |
Nombre d’usagers |
Travail légal |
2 |
Travail non-déclaré |
18 |
Retraite |
0 |
RSA |
0 |
AAH |
0 |
ATA |
0 |
Sans ressources |
32 |
Inconnu |
16 |
Total |
68 |
Indépendamment du profil des personnes rencontrées, la première demande est toujours de nature sociale et / ou médicale : hébergement, ouverture des droits, suivi médical, travail. Très souvent, l’accompagnement socio-éducatif d’une personne lors de sa première demande administrative lui permet de se construire de repères dans le social, de se situer, d’avoir une représentation plus claire par rapport à un possible projet de vie, et de se mobiliser pour entamer des nouvelles démarches cohérentes avec son projet. L’accompagnement au tout début par un professionnel qui connaît la langue maternelle de la personne l’aide à construire des « ponts » entre sa culture d’origine et des repères qu’elle a besoin d’acquérir dans la société française d’accueil. Une fois ces représentations intériorisées, la personne devient vite plus autonome dans les démarches et plus à l’aise dans le contact avec les travailleurs sociaux et les professionnels de la santé.
Tableau 4: répartition des demandes de la file active
Type de demande |
Nombre d’usagers |
Administrative et juridique |
32 |
Sociales : hébergement, travail |
45 |
Médicales |
22 |
Psychothérapie de soutien et soutien psycho-sociale |
18 |
Divers |
3 |
Total |
120 |
Les problèmes de santé les plus fréquemment invoqués sont les maladies cardiaques ou pulmonaires, les handicaps physiques et mentaux aussi que des problèmes dentaires. Un cas particulier est constitué par les femmes en situation de prostitution qui sollicitent l’équipe de l’Antenne Mobile pour une série de problèmes de santé liés aux risques auxquels les expose leur activité. Dans ces cas précis, nous faisons des orientations vers le médecin de l’Espace Femmes rattaché au CAARUD Boutique 18 et des accompagnements pour l’accès aux soins médicaux ponctuels. Une autre catégorie de problèmes de santé est liée aux violences conjugales subies par les femmes vivant en couples : elles parviennent assez tardivement à se confier sur le fait d’avoir été hospitalisées en urgence suite à des « bagarres » avec leurs compagnons. Encore plus rarement, au début d’un suivi de grossesse, elles formulent très timidement une demande d’interruption, qui sera en conflit avec le choix de leur compagnon.
Au niveau de la prise en charge médicale, deux problèmes principaux sont rencontrés de manière récurrente, ayant répercussions sur le suivi : l’absence d’une couverture sociale pour certaines personnes porteuses de maladies chroniques, nécessitant un suivi spécialisé et cohérent sur la longue durée ; l’absence d’une médiation/interprétation linguistique convenable lors des RDV médicaux, ce qui rend la communication avec les professionnels de la santé lacunaire, avec des effets dommageables au niveau des soins prescrits.
Si parmi les femmes en situation de prostitution on n’a pas pu constater de consommation de produits toxiques, la consommation d’alcool semble revenir régulièrement dans la problématique des hommes isolés, une consommation qu’ils n’estiment pas comme nuisible même si elle s’associe avec diverses formes de transgression des règles des ESI qui les accueillent en entraînant parfois l’exclusion. Dans les couples, la consommation d’alcool est souvent à l’origine des comportements violents des hommes envers leurs partenaires et les incidents de ce type entraînent leur expulsion du centre d’hébergement.
Nous ne connaissons pas des cas de consommation d’autres substances psychoactives.
Nos données sont insuffisantes pour remplir le tableau de la consommation.
Une mère sous emprise et son fils, au campement rom
Les travailleurs sociaux de la maraude Emmaüs aux bois de Vincennes nous ont sollicités pour la traduction et une lecture psy d’une situation apparemment difficile : lors des visites sur un campement rom l’homme qui domine le groupe se présente aussi en tant que compagnon de la seule femme présente, mère également d’un enfant mineur dont M. n’est pas le père ; M. exerce une emprise psychologique visible sur la dame. Nous lui faisons savoir que l’enfant selon les lois françaises ne pourra pas continuer à vivre dans le bois, une mise à l’abri s’impose. Monsieur. s’impose lors des discussions et exige une place d’hébergement pour les trois. La dame est très en détresse et en manque d’autonomie. Nous la soupçonnons d’être victime de violences quotidiennes. Lors d’un tête-à-tête elle a un discours plaqué, utilise les mots de M., se fait son porte-parole. Pendant la discussion M. ne cesse pas de l’appeler par téléphone se montrant menaçant au cas où elle accepterait un hébergement mère-enfant. Suite à une longue discussion en binôme avec un AS d’Emmaüs, et aux propositions du SAMU Social qui connaît de longue date la situation de Madame et confirme nos suppositions, nous lui proposons une solution d’hébergement d’urgence mère-enfant. La pression que M. exerce à distance sur la dame est rude, mais après un jour d’hébergement et entourée par le soutien des travailleurs sociaux, Madame convient qu’il est mieux pour elle et l’enfant de rester dans le centre et d’accepter le suivi proposé par l’AS. C’est son premier pas vers la conquête de son autonomie par rapport à l’emprise de M., mais tout cela nécessite encore un longue suivi éducatif et soutien psychologique solide.
La population d’origine roumaine en grande précarité rencontrée par l’équipe Bociek dans la région parisienne est nombreuse et très hétérogène. Nous avons pu distinguer trois grand segments : hommes isolés, femmes prostituées et familles élargies souvent d’origine Rom, chacun ayant une problématiques propre et des besoins spécifiques. De ce fait les services sociaux et les structures qui nous ont sollicités pour la médiation et l’accompagnement mettent en places des réponses différentes selon la nature de la demande qui peut être sociale (hébergement, accès aux droits, soins médicaux, protections des mineurs en danger, protection des femmes maltraitées, accompagnement au retour au pays, projets personnels d’insertion, conseil juridique) ou médicale (l’accès aux soins, les suivis de grossesse, la prévention des MST pour les femmes prostituées, des suivis médicaux pour des personnes souffrantes qui ne trouvent pas des structures adaptées dans le pays d’origine). Pour qu’une demande cohérente et stable soit formulée, un accompagnement psycho-social de la personne s’avère souvent nécessaire. Des motivations contradictoires et des codes culturels incompréhensibles peuvent mettre en échec les démarches d’accompagnement social entamées. De ce fait, les sollicitations de la part de nos partenaires associatifs confrontés à cette population (Emmaüs, Aremedia, Hors la Rue, Armée du Salut, Mie de Pain l’Antenne mobile de la Boutique 18 Charonne, l’ESI Halles Saint-Didier) visent non seulement l’orientation de cette population au vue de l’accès aux droits, mais aussi la médiation de la rencontre qui puisse permettre ultérieurement des démarches cohérentes avec les besoins et les demandes urgentes de cette population.
1 Les donnés que nous avons actuellement sur le public roumanophone sont insuffisantes pour remplir le tableau des problèmes de santé.
2 Les donnés que nous avons actuellement sur le public roumanophone sont insuffisantes pour remplir le tableau des problèmes des consommations